Joseph s’est endormi … Brisé, écrasé, à bout de force, Joseph s’est endormi d’épuisement comme on s’endort dans la mort. Joseph, un homme juste, Joseph, un homme intègre, bute sur le mystère de Marie, sa promise, qui est enceinte par l’action de l’Esprit Saint, avant même qu’ils n’aient habité ensemble. Sa décision est prise : il répudiera Marie mais, en secret, en raison du profond respect qu’elle lui inspire. Sa décision est prise, mais son cœur est broyé de souffrance ! Il ferme les yeux et s’abandonne à un mystérieux sommeil qui le happe, tel Adam en attente d’une nouvelle création jaillie du tréfonds de son cœur.
Œuvre secrète de l’Esprit dans le sein de Marie, seul l’Esprit Saint pouvait lui dévoiler un tel mystère comme Il ‘expire’ pour nous la Parole inspirée que nous lisons. Le mystère de Marie, c’est le mystère de Jésus, Fils de Dieu ! Ce mystère restera caché aux yeux des hommes, longtemps, bien longtemps – c’est ainsi que Dieu le veut – parce que les yeux des hommes, depuis longtemps, se sont fermés aux mystères cachés en Dieu, en s’ouvrant sur la nudité de la chair.
L’Evangile de Marc, plus que les autres, insiste sur le secret messianique du Dieu fait homme. Il ne sera levé qu’à la mort de Jésus sur la Croix, dans un double cri : le cri de Jésus remettant son souffle entre les mains du Père auquel répondra le cri du centurion romain s’exclamant « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! »
Il n’y a donc que le Souffle de Dieu, qui puisse lever le mystère. Elisabeth, remplie de l’Esprit Saint, avait découvert le mystère de Marie. Elle aussi avait poussé un cri : « Béni es-tu entre les femmes, et béni le Fruit de ton ventre ! Comment m’est-il donné que la mère de mon Sauveur vienne à moi ? »
Joseph donc, butte sur le mystère de Marie enceinte, et Marie ne lui dit rien. Quel étonnement ! Il aurait été si simple qu’elle lui raconte toute l’affaire depuis le commencement : la visite de l’ange dans sa petite maison de Nazareth, telle une hirondelle un beau jour de printemps ; sa salutation mystérieuse qui la troubla si profondément ; son message de grâce et son invitation pressante à répondre à la faveur qui lui était faite ; et comment, elle, Marie, avait donné son consentement. Mais, de tout cela, Marie n’a rien dit. Elle sait qu’il souffre et elle souffre avec lui en silence. Elle attend le moment de sa délivrance : par sa prière compatissante, elle veut hâter ce jour où Joseph entrera avec elle dans le mystère tenu caché depuis des siècles.
Certains commentateurs, bien intentionnés, ont refusé d’admettre ce silence de Marie. Comment était-il possible que Marie et Joseph ne partagent pas tous leurs secrets dans l’intimité de leur union exemplaire ? C’est pourtant, me semble-t-il, manquer de respect au texte sacré.
En lisant bien entre les lignes, nous devinons un drame, et plus qu’un drame même, car il s’agit de la Passion de Joseph, passée quasiment inaperçue aux regards des hommes. Joseph, qui ne sera pas avec Marie au pied de la Croix, le Vendredi Saint, Joseph souffre aujourd’hui sa Passion. Qui dira la douleur de Joseph, troublé dans son affection toute pure pour Marie, torturé par le soupçon ? Sa petite embarcation se trouvait prise dans une grande bourrasque de vents contraires, d’idées opposées et de réflexions contradictoires plus cruelles les unes que les autres qu’il ne pouvait confier à personne, pas même à Marie.
C’est là qu’il s’endort dans la torpeur, sa décision prise, la mort dans l’âme. C’est là que l’ange du Seigneur vient le trouver dans un songe : « Joseph, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle mettra au monde un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c’est Lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »
Quelle merveille ! Quel réconfort, cette visite de l’ange du Seigneur ! Telle une caresse, la caresse d’un battement d’aile ; telle une brise légère qui pénètre sa conscience au plus intime pour l’illuminer. Joseph se réveille, tout étonné de ce qui lui est arrivé. D’un bond, il se lève : c’est un homme nouveau qui s’en va frapper furtivement à la porte de sa bien-aimée :Pardon, Marie, d’avoir douté de toi, de t’avoir accusée injustement dans mon cœur, d’avoir pris une décision sans t’interroger, de t’avoir offensée par un soupçon. Je ne t’ai pas connue comme je le devais : pardonne-moi, Marie !Marie pleure doucement, puis son visage s’éclaire :
– Réjouis-toi, Joseph, fils de David, réjouis-toi ! La race de David a le Roi qu’elle attendait et notre maison devient le palais du Roi, et nous partageons avec Dieu le secret du Roi des rois, un secret de paix pour tous les hommes de bienveillance.
Frère Bernard, moine de Cîteaux