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Chers frères et sœurs,

Insondable Mystère de la Trinité ! Qui peut le découvrir, l’explorer, le connaître et l’enseigner ? Et pourtant, nous sommes quelque part ‘pressés’ et ‘obligés’ d’entrer dans la connaissance de ce Mystère par Dieu Lui-même qui nous a créés au commencement à son image et ressemblance (cf. Genèse 14,26) ; qui a merveilleusement restauré en nous, par la grâce de notre baptême, la ressemblance perdue à la suite du péché ; et qui nous appelle à devenir participants de sa Vie divine pour l’éternité bienheureuse.

Pour entrer dans le Mystère de la Trinité, deux voies d’approche s’ouvrent devant nous : la voie théologique et la voie mystique. Le théologien tente de dire Dieu en son Mystère à partir du donné scripturaire. Le mystique fait ou désire faire l’expérience de Dieu en son Mystère ineffable. A vrai dire, c’est ce dernier qui est vraiment théologien, à condition qu’il soit capable de rendre compte dans le langage des hommes, de l’expérience de Dieu. L’Apôtre Paul s’y est risqué. Ainsi, il dit aux Ephésiens : « C’est par une révélation de Dieu que j’ai la connaissance du mystère … Vous pouvez constater, en me lisant, que j’ai l’intelligence du mystère du Christ » (Eph 3,3). Et il termine par une sorte de doxologie trinitaire vibrante : « C’est pourquoi je tombe à genoux devant le Père … qu’il vous donne la puissance de son Esprit pour fortifier en vous l’homme intérieur ; qu’il fasse habiter le Christ en vos cœurs par la foi » (Eph 3,15).

Faisons cependant un survol rapide du donné scripturaire sur lequel repose toute théologie dela Trinité. Le mot ‘Trinité’ est bien entendu inconnu de toute l’Ecriture, car il est le fruit d’une élaboration dogmatique postérieure. Mais nous trouvons, déjà dans l’Ancien Testament, des indices ou images de la Trinité qui pourront être décryptées à la lumière du Verbe éternel venu dans la chair, Jésus Christ qui a ouvert à ses disciples et amis la connaissance de Dieu en son mystère intime.

Notons déjà que le mot ‘Dieu’ en hébreu, ‘Elohim’ est un pluriel ; par ailleurs, l’expression : « ‘Faisons’ l’homme à notre image » de Genèse 1,26 suggère une sorte de concertation plurielle dans la création de l’homme ; et encore, l’épisode de l’hospitalité d’Abraham au Chêne de Mambré : sont-ils trois ? Sont-ils un ? Le texte semble hésiter (cf. Gn18) et les Pères de l’Eglise y ont vu une anticipation de la révélation trinitaire que Andrei Roublev a immortalisée dans sa célèbre icône de la philoxénie d’Abraham ; plus tardivement, la présence personnifiée d’une Sagesse préexistante comme Maître d’œuvre de toute la création et son incarnation en Israël dans la Loi révélée au Sinaï, prélude à l’incarnation du Verbe en un homme, le Christ Jésus.

Les Evangiles synoptiques restent discrets sur l’origine divine de Jésus. Chez Mathieu comme chez Marc, c’est un païen, le centurion romain qui atteste, en voyant mourir Jésus sur la croix : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! ». C’est l’Apôtre et Evangéliste Jean qui nous fait entrer le plus loin dans la relation privilégiée de Jésus avec son Père : Jésus, envoyé par le Père, accomplit les œuvres de son Père, reçoit de Lui tout ce qu’Il enseigne. Il vit par son Père au point de ne faire qu’UN avec Lui : « Le Père et moi nous sommes UN » déclare-t-il. Enfin, Jésus annonce un autre Défenseur, l’Esprit de Vérité qui procède du Père et est envoyé par le Père au Nom de Jésus. Sa mission sera de rappeler les paroles de Jésus, de guider les croyants dans la Vérité et de rendre témoignage avec les disciples. Les Actes des Apôtres montrent comment l’Esprit est à l’œuvre, concrètement, dans l’Eglise du Christ qui prend son essor à travers l’empire romain.

St Paul est sûrement celui qui est allé le plus loin dans l’utilisation audacieuse et pénétrante de nombreuses formules trinitaires. La première lecture nous rapporte celle-ci : « Que la grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion de l’Esprit St soient avec vous tous » (1 Co 13,13) : elle a été retenue comme l’une des trois salutations du célébrant qui ouvrent la liturgie eucharistique.

Pour Paul, c’est par le Christ que nous avons un accès auprès du Père, en étant conformé au Christ dans l’unique Esprit. Le rôle de l’Esprit est de former le Christ dans le croyant et d’agréger tous les fidèles en un seul corps, le Corps du Christ dont l’Eglise est à la fois la manifestation et l’accomplissement. La juste compréhension du mystère trinitaire conduit St Paul au souci constant de l’unité de l’Eglise en tant que Corps du Christ : « De même qu’il n’y a qu’un seul Corps et un seul Esprit, il n’y a qu’un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui règne au-dessus de tous, par tous et en tous » (Eph4,6).

Ainsi, l’expérience trinitaire la plus fondamentale trouve-t-elle sa source dans le sacrement du Baptême qui nous incorpore au Christ et nous fait fils dans le Fils. C’est une nouvelle naissance dont le cri caractéristique est « Abba, Père », cri poussé dans le Souffle Saint qui atteste, comme le dit St Paul, que nous sommes enfants de Dieu (cf. Rm 8,16 et Ga 4,7). Nous sommes là dans la voie royale pour vivre du mystère trinitaire, en nous laissant conformer au Fils bien aimé qui est sans cesse tourné vers le Père dans l’Esprit Saint : « Je suis dans le Père et le Père est en moi » dit Jésus (Jn 14,10). Une semblable communion d’Amour est promise au fidèle : « Vous connaîtrez que je suis dans mon Père et que vous êtes en moi et moi en vous » (Jn 14,20).

Il nous reste une dernière voie à explorer, « une voie supérieure à toutes les autres » pour reprendre le langage de Paul (1 Co 12,31) et la plus sûre de toute, la plus universelle aussi, celle de notre Père Abraham, le Père des croyants, qui découvre la Présence du Dieu Trinité dans l’accueil de l’étranger au chêne de Mambré. Nous rejoignons là l’inspiration géniale de St André ROUBLEV, puisant dans ce récit son inspiration, lorsqu’il ‘écrivit’ sa célèbre icône de la Trinité, comme nous l’avons évoqué plus haut.

Le temps manque pour développer cette intuition. Mais rappelons-nous que Dieu peut se présente à nous comme l’étranger qui surgit à l’improviste. Que cet étranger peut aussi être mon frère le plus proche – ô combien méconnu ! – qui me sollicite. Le rituel d’Abraham – vous l’aurez remarqué – est celui du lavement des pieds et du partage du pain, tellement proche du double mémorial institué par Jésus à la veille de sa mort. Et nous avons cette parole de Jésus : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait ».

Et si l’accueil de l’autre était le lieu de la plus haute connaissance du Dieu Trinité ? Quelqu’un s’est-il déjà engagé sur cette voie ? Qu’il témoigne que Dieu est AMOUR, CHARITE, ou encore AMITIE, comme le dit Aelred de Rielvaux (traité de l’amitié spirituelle).

Frère Bernard, moine de Cîteaux