Chers frères et sœurs,
De Pâques à la Pentecôte, il n’y a qu’un seul Jour, c’est le Jour du Seigneur, Jour d’allégresse et Jour de joie. Mais ce Jour unique, ce Jour que fit le Seigneur, la liturgie le déploie durant 50 jours, et ce n’est pas trop pour célébrer ce qui est au cœur de notre raison de vivre, ce qui est le cœur du Mystère de la foi : la Résurrection. Vous êtes bien d’accord, frères et sœurs : ce qui est au cœur de notre raison de vivre, c’est la Résurrection ! Si le Christ n’est pas ressuscité, nous les chrétiens nous sommes les gens les plus malheureux du monde, car notre foi est vide ! Et nous sommes aussi des gens malhonnêtes, parce que nous entretenons depuis 2000 ans un mensonge qui égare l’humanité. On a bien raison alors de persécuter les chrétiens, on a bien raison de s’en méfier, de les faire taire, et de tout faire pour enterrer leur doctrine et leurs pratiques.
Seulement, voilà, les faits sont là qui obligent à constater qu’on n’y arrive pas ! On n’arrive pas à enterrer l’Eglise, on n’arrive pas à s’en débarrasser. Quand elle s’étiole ici, elle se développe ailleurs. Quand le sang des martyrs est versé ici, là germe la semence des chrétiens. Cela se vérifie depuis les débuts du christianisme. On lit dans les Actes des Apôtres qu’au lendemain du martyre d’Etienne une violente persécution s’est déchaînée contre l’Eglise de Jérusalem, ce qui a provoqué la dispersion d’une grande partie des croyants dans les campagnes de Judée et de Samarie. La persécution ici provoque l’évangélisation là. Paul lui-même, fougueux persécuteur de l’Eglise, va en être l’instrument après sa conversion sur le chemin de Damas. Chassé d’une ville, il part dans une autre, et cela le conduit jusque devant l’empereur, à Rome, non sans laisser partout où il passe, la présence, si minime soit-elle, d’une communauté chrétienne qui annonce la Résurrection et qui en vit. Antioche, Philippes, Corinthe, Athènes, Ephèse, Malte,…La lumière de l’évangile se propage de l’Orient à l’Occident. Les barbares se convertissent, les empereurs et les rois plient les genoux et demandent le baptême : Constantin à Rome, Clovis en Gaule, Olaf en Scandinavie, Vladimir en Russie… L’Europe prend ses racines chrétiennes.
Pourtant ne nous y trompons pas ! Ce ne n’est parce que la foi chrétienne a pris racine dans une zone géographique qu’elle n’est pas menacée, sinon de mourir, du moins de s’attiédir ou de céder le pas à d’autres religions. Les exemples ne manquent pas : que reste-t-il aujourd’hui des communautés fondées par saint Paul en Asie Mineure ? Une petite poignée, vivante, c’est tout. Que reste-t-il des communautés chrétiennes nombreuses en Afrique du Nord aux premiers siècles de l’ère chrétienne ? Et que dire de Jérusalem, quand on sait que les chrétiens eux-mêmes, hélas, se disputent les lieux saints ?
Mais revenons à notre question de départ. Comment se fait-il que, malgré toutes les contradictions que les chrétiens rencontrent depuis deux millénaires, la foi chrétienne continue de se répandre, sans qu’il soit possible de l’anéantir, même si les chrétiens n’ont pas toujours une conduite exemplaire ? On peut répondre bien sûr à la manière de saint Augustin : Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en toi. Autrement dit, puisque nous sommes créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, et recréés dans la mort et la résurrection du Christ, il y a en nous et dans l’univers comme un élan qui presse toutes les créatures à reconnaître leur Seigneur. C’est le sens du psaume que nous avons chanté tout à l’heure : Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur ! La terre s’emplit de tes biens. Tu envoies ton souffle : ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre. Gloire au Seigneur à tout jamais ! Que Dieu se réjouisse en ses œuvres !
A côté de cet élan créationnel, je voudrais avancer une autre raison qui explique qu’on n’arrive pas à en finir avec l’Eglise de Jésus-Christ. Elle pourrait s’énoncer ainsi : L’Eglise ne pactise avec aucune violence qui tue la vie. Tant qu’un pouvoir, un Etat, un Royaume, pour se maintenir en place, a besoin d’user de la violence des armes ou de n’importe quelle forme de harcèlement physique ou moral contre les personnes, il montre par le fait même qu’il est voué à disparaître. Celui qui provoque la mort pour vivre, ou simplement survivre, se voue lui-même à la mort. Dans notre monde aujourd’hui, les exemples crèvent les yeux. Je n’en donne qu’un : que se passe-t-il depuis quelques mois sur les bords de la Méditerranée, sinon un épouvantable conflit où se déchaînent toutes les formes de violence, sauf la seule que nous annonçons : la violence de l’amour ? Mais ne soyons pas naïfs au point de croire que notre pays serait exempt de ces violences mortelles. Si, par des législations abusives, nos sociétés règlent par la mort le sort de milliers d’innocents incapables de se défendre dans le sein de leur mère, elles se vouent elles-mêmes à la mort. Notre Dieu n’a pas fait la mort. Son Esprit est Seigneur et il donne la vie. Alors nous comprenons pourquoi l’Eglise est un brasier inextinguible. Parce qu’elle est née de Celui qui est la Résurrection et la Vie, parce qu’elle annonce la Résurrection et la Vie, parce qu’elle suscite la vie. Si fragile soit-elle, elle la protège, la défend, la fait grandir, sans le concours de la violence. Elle sait que pactiser avec la violence, c’est mourir soi-même. Frères et sœurs, baptisés dans le Christ, notre seul pacte, nous le faisons avec la Résurrection et la Vie. C’est tout et c’est immense.
La paix soit avec vous ! nous dit Jésus ressuscité, une fois, deux fois, en nous montrant les traces de la mort dans ses mains et son côté. Mais sur lui, la mort n’a plus aucun pouvoir. Plein de vie, il souffle sur nous, en disant : « Recevez l’Esprit Saint ! Vous tous, les baptisés, membres de mon Corps, je vous envoie annoncer la Résurrection et la Vie. Soyez ce que vous êtes : morts au péché et vivants pour Dieu, moi en vous, et vous en moi. Ne soyez pas étonnés si le monde vous hait, il m’a haï le premier. En ce monde, vous faites l’expérience de l’adversité, mais soyez pleins d’assurance, j’ai vaincu le monde ! »
Frère Olivier, abbé de Cîteaux