Chers frères et sœurs,
La nouvelle s’est propagée, elle a trouvé des témoins, depuis les tout premiers, ceux dont parlent les lectures que nous venons d’entendre : Pierre, Jean, Marie-Madeleine, Paul, le centurion Corneille ; elle s’est propagée sans que rien, depuis plus de deux mille ans, ne puisse empêcher des hommes et des femmes, de l’accueillir, de s’y consacrer corps et âme, de la transmettre, de la répandre, même dans des contextes très difficiles. Rien empêche la bonne nouvelle de la Résurrection d’avancer, de courir sur tous les chemins du monde et par tous les moyens de communications possibles. Pense-t-on l’avoir étouffée ? Elle réapparaît ! On dresse des murs pour l’empêcher de passer…mais les murs tombent, les rochers se fendent ! La modernité paraît si vieille à côté d’elle, et la post-modernité si ennuyeuse et si mensongère : produits de cerveaux malades, embourbés dans un contentieux qui ne s’en prend pas à Dieu, en tout cas pas au Dieu vivant et vrai que nous confessons dans la foi, mais à des fantômes !
De quoi les adeptes de ce mensonge voudraient-ils nous faire peur ? D’un Dieu tout puissant qui maintiendrait l’homme en esclavage et l’empêcherait d’être heureux ! Mais ont-ils jamais lu l’évangile ? Parmi les plus grands d’entre eux, en y eut-il jamais un, un seul, qui se soit mis à genoux comme Jésus pour laver les pieds de ses pairs ? Accusent-ils l’Eglise de s’attribuer des droits sur les personnes qui culpabilisent les conscience au lieu de les libérer ? Ils n’ont pas complètement tort, car l’Eglise a parfois, sous couvert d’évangile, soutenu des propos et des régimes trop éloignés de sa mission. C’est ce qui explique les démarches de repentance de Jean-Paul II à la fin du second millénaire. Mais lequel, de tous les détracteurs de l’Eglise, lui reprocherait d’avoir eu au fil des siècles, sans interruption, des hommes et des femmes qui ont été aux frontières les plus avancées de la détresse du monde ?
Faut-il en nommer quelques-uns ? Il y a ceux que tout le monde connaît et qui sont devenus des phares pour notre humanité : l’abbé Pierre, Mère Teresa de Calcutta, Sr Emmanuelle du Caire, Maximilien Kolbe, et celui qu’on appellera bientôt le bienheureux pape Jean-Paul II. Parmi la foule immense des témoins qui nous entourent, je voudrais en nommer d’autres beaucoup moins connus mais peut-être pas moins grands, Dieu le sait. Les premiers auxquels je pense sont deux frères de notre communauté que le Seigneur a rappelés à lui au début de l’année :
. Frère François d’Assise, entré à Cîteaux à 17 ans, mort quelques jours avant ses 91 ans, après 38 ans passés dans nos monastères d’Afrique, et quelques années chez les pygmées pour qui il a gardé une sympathie qui aurait presque pu nous rendre jaloux. C’est à lui que nous devons le Christ en croix près de l’autel, et plusieurs sculptures étonnantes où Jésus a seulement une main clouée à la croix tandis que l’autre s’en détache et rejoint soit le bon larron qui est à ses côtés, soit Marie, sa Mère, qui est debout près de la croix. Quand on demandait à Frère François d’Assise le sens de ce geste dont l’évangile ne parle pas, il citait la parole de Jésus : C’est la miséricorde que je désire et non les sacrifices. L’un des bras est attaché à la croix pour figurer le sacrifice de l’Agneau, sa mort pour abolir le péché du monde. L’autre bras se détache de la croix et figure la victoire l’amour miséricordieux qui nous rejoint, nous étreint, nous ressuscite, nous divinise. Mes chers frères, c’est par la miséricorde plus que par les sacrifices que nous sommes vainqueurs du monde avec le Christ ressuscité.
. L’autre frère de Cîteaux est plus connu, car il a été longtemps hôtelier. C’est notre cher Frère Maurice que le Seigneur a rappelé à lui le 16 février dernier à 92 ans. Quelques jours avant sa mort, il trottinait encore dans les couloirs du monastère. Toujours de bonne humeur, voyant toujours le bon côté des choses, louant Dieu pour toutes ses créatures. Sur le petit programme de vie qu’il avait remis à son père abbé au début de l’année, il avait écrit : En communauté, j’essaie de vivre le moins mal possible en demandant au Saint Esprit d’être bien luné. J’y mêle aussi la Sainte Vierge évidemment et bien d’autres. Vivre simplement ce que je suis : enfant de Dieu. Dieu m’accepte comme je suis. Je dois l’accueillir comme il est : Dieu. Emerveillé de Lui. N’est-ce pas la parole et la vie d’un témoin de la résurrection ?
J’en nommerai encore deux autres qui ont accompagné notre communauté tout au long de notre marche quadragésimale jusqu’à aujourd’hui. Tous les deux sont du Pakistan. Comme nos deux frères, ils sont morts au début de l’année, mais de mort brutale. L’un, Salman Taseer, était musulman, gouverneur du Pendjab ; l’autre, Shahbaz Bhatti, était catholique, ministre pour la défense des minorités religieuses. Tous deux ont été tués pour la même raison : parce qu’ils s’opposaient à la loi sur le blasphème qui, en soi, est vraiment un blasphème parce qu’elle est la cause, au nom de Dieu, d’injustice et de mort. Tous deux savaient bien qu’ils risquaient leur vie parce qu’ils avaient explicitement été menacés de mort. Toutefois, ils n’ont pas renoncé à leur lutte contre le fanatisme violent et pour la liberté religieuse, et ils en ont payé le prix le plus haut par leur sang. Shahbaz Bhatti nous a laissé un testament qui commence à courir le monde, comme celui de Christian de Chergé . On peut y lire cette phrase qui a le parfum d’un homme baptisé dans la mort et la résurrection du Christ : Je n’ai plus aucune peur, je dédie ma vie à Jésus. Je ne veux pas de popularité, je ne veux pas de positions de pouvoir : je veux seulement une place aux pieds de Jésus. Pour tous ces témoins, depuis les premiers, ceux du matin de Pâques, jusqu’à ceux d’aujourd’hui, louange à toi, Jésus, Christ et Seigneur, amour suprême du monde !
Frère Olivier, abbé de Cîteaux