En ce temps de vacances, de détente, de changement d’air et de paysage pour beaucoup, du moins nous le souhaitons, la Parole de Dieu aussi se met en vacances avec nous et excite notre désir en nous proposant de bonnes choses : vin, lait, viandes savoureuses et, dans l’Evangile, pain et poisson à volonté, tout cela gratuitement, sans rien payer … C’est le don gratuit de Dieu, avant-goût du Royaume, Béatitude des pauvres. L’Evangile surtout retiendra notre attention et – disons-le – notre contemplation du Christ en son Mystère : vrai homme et vrai Dieu.
Imaginons un peu cette vaste étendue d’eau appelée ‘Mer de Galilée’, inondée de soleil, bordée de collines verdoyantes et de petites bourgades charmantes aux noms évocateurs de tant de scènes évangéliques : Bethsaïde, Capharnaüm, Gennésareth, Magdala, Tibériade …
Jésus s’y trouve là, quelque part sur la berge, avec ses disciples. Il vient d’apprendre le drame de l’assassinat de son cousin et Précurseur, Jean le Baptiste, par le roi Hérode, et il éprouve le besoin de se retirer à l’écart, dans un lieu désert, comme Il le fait si souvent pour prier son Père dans le secret, pour pleurer peut-être comme Il pleurera son ami Lazare, pour intérioriser aussi cet événement prophétique, car tout, dans la vie et dans la mort du Baptiste, Lui parle de sa mission et de son Heure. Il monte alors dans une barque et le voici, seul avec ses disciples, s’éloignant à grands coups d’avirons vers une destination inconnue …
Mais voilà : on l’a vu partir et tous se donnent le mot : « le Nazaréen est sur la mer ! ». Imaginez alors un immense et majestueux mouvement de foule : des hommes, des femmes, des enfants en nombre incalculable, quittant leurs maisons et leurs villes pour former un cortège interminable qui se déploie le long de la rive, progressant au rythme de la barque, la devançant même pour l’attendre là où Jésus débarquera.
Comment expliquer que Jésus puisse exercer une telle fascination sur les foules ? Tous viennent à Lui pour l’écouter, pour se faire guérir, pour être consolé, réconforté, nourri. Car ‘jamais homme n’a parlé comme cet homme’, et toutes ces guérisons ne sont-elles pas le signe qu’Il est le grand prophète, celui que l’on attend, le Messie de Dieu ?
A travers ce grand mouvement de foules, aimantées par Jésus, nous retrouvons l’image profondément biblique du Bon Pasteur qui prend la tête de son troupeau éparpillé sur toute les collines, en quête d’un berger pour le conduire : « Ainsi parle Le Seigneur (au livre du prophète Ezekiel) : Je viens moi-même chercher mon troupeau pour en prendre soin. Je le rassemblerai, je le ferai paître dans un bon pâturage, son herbage sera sur les montagnes du haut pays d’Israël. C’est là qu’il pourra se coucher dans un bon herbage » (Ez 34, 11-16).
Jésus VOIT comme Dieu voit : « J’ai vu la misère de mon peuple, dit Dieu à Moïse au buisson, et je l’ai entendu crier … Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer » (Exode 3, 7). Jésus est saisi de pitié et ses entrailles frémissent comme celles de Dieu : « Mon cœur en moi est bouleversé et mes entrailles frémissent, car je suis Dieu et non pas homme. Au milieu de toi, je suis le Saint » (Osée 11, 8-10).
Tel est Dieu, tel est Jésus : Il est bien Le Seigneur qui n’abandonne pas son troupeau. Il trouve inconvenante l’attitude des disciples qui veulent renvoyer les foules. Il donne des ordres impossibles : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » ; et Il montre que ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. Entre ses mains très saintes, le pain est rompu et partagé entre tous de telle sorte que tous sont rassasiés et qu’il en reste encore : surabondance qui annonce la démesure de Dieu et le Royaume qui vient. Saint Jean, dans son Evangile, développe ici le long discours de Jésus sur le Pain de Vie : « Je suis le Pain vivant qui descend du ciel … qui mange de ce pain vivra éternellement et ce pain, c’est ma chair donnée pour que le monde ait la vie » (Jean 6, 51-55).
Les Evangiles synoptiques sont moins prolixes en discours mais suggèrent beaucoup pour qui sait scruter la Parole avec attention. Notre récit est somme toute calqué sur celui de la Sainte Cène et nous retrouvons les mêmes gestes : « Jésus prit le pain et, après avoir prononcé la bénédiction, le rompit et le donna à ses disciples en leur disant : ‘Ceci est mon Corps, livré pour vous’ … » (Mt 26, 26).
Tout Maître et Seigneur qu’Il est en vérité, Jésus se reçoit totalement du Père de qui vient tout don parfait. Il lève les yeux au ciel, détail sur lequel la Prière Eucharistique du Canon Romain (N°1) insistera en ajoutant « vers Toi, Dieu, son Père Tout Puissant ». Et le don qu’Il reçoit du Père, Il le remet dans les mains de ses disciples pour qu’ils donnent à leur tour. Les Douze sont ici l’image de l’Eglise. Préfiguration de l’Eglise et de l’Eucharistie du Seigneur, telle est la portée de ce texte pour les premiers chrétiens comme pour nous-mêmes qui voyons l’Eglise et vivons de l’Eucharistie, Source et Sommet de la vie de l’Eglise.
Tout semble idyllique dans notre ‘tableau pour vacanciers’. Ne trouvez-vous pas qu’il manque quelque chose ? L’Eucharistie n’est pas seulement le pain rompu et partagé en signe d’amitié et de fraternité ; elle est aussi – il faut le rappeler – le mémorial de la Passion du Christ, la rendant présente réellement quoique de manière non-sanglante. Elle nous rappelle que la fraternité universelle, la réconciliation de tous les hommes par la Croix du Christ, exige le sacrifice de nos vies données et consacrées à Dieu dans l’invincible espérance qu’en toute détresse, angoisse, persécution, danger ou supplice, nous sommes les grands vainqueurs grâce à Celui qui nous a aimés et s’est livré pour nous, Jésus Christ, notre Seigneur (cf. 2ème lecture, Rm 8, 35-39).
Frère Bernard, moine de Cîteaux