L’évangile des rois mages…. Touchant récit qui a bercé notre enfance. Nous aimons entendre cet évangile comme nous aimons ces rois mages solennels et savants qui s’inclinent devant le petit Jésus.
Mais il faut quand même aller plus loin. Il faut décoder le genre littéraire utilisé par St Matthieu. Car en réalité le récit des faits rapportés par lui ici est non seulement un riche midrash mais un récit théologique élaboré à la lumière du mystère pascal.
Une lecture attentive nous le fait découvrir par plusieurs détails. Ils nous ouvrent, ces détails, une lecture plus large que le merveilleux immédiat de cette « épiphanie ».
En effet le titre de « Rois des Juifs » par lequel les mages désignent le nouveau-né, réapparaîtra dans la bouche de Pilate au moment du procès de Jésus et sera l’inscription de l’écriteau de la croix.
Notons aussi que devant ce même questionnement de la part des mages, le roi Hérode et les prêtres ne dépassent pas leur interprétation humaine de l’Ecriture. Ce sont les païens, les nations, qui iront jusqu’au seuil du mystère. Cette attitude des interlocuteurs des mages est celle des chefs juifs durant la vie publique et la Passion de Jésus.
La manifestation de Jésus aux mages est ainsi le commencement et le germe de la manifestation plénière qui se déploiera dans la mort et la résurrection du Christ, manifestation qui éclatera au matin de la Pentecôte.
Il ne faut pas non plus réduire la visite des mages à une aimable scène un peu folklorique permettant de mettre un peu de couleur dans les crèches, d’y rajouter un chameau, un éléphant…
Dans ce récit St Matthieu marque la nouveauté radicale que Jésus révèle dans sa mission de salut et que saint Paul souligne dans toute sa prédication. Le passage de la lettre aux Ephésiens le rappelle aujourd’hui : les païens ont accès au salut sans être fils d’Israël. Tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens et proclamant les louanges du Seigneur. Aujourd’hui, les prophéties sont accomplies !
Lorsque nous méditons aujourd’hui cette manifestation universelle de Dieu, c’est-à-dire la révélation de son dessein de salut pour tous les hommes, nous ne pouvons faire autre chose que de nous demander, à notre tour comment nous l’accueillons.
Parler de salut universel , ce n’est pas seulement évoquer une vague espérance spiritualiste qui, dans une pieuse confusion, regrouperait toutes sortes de courants plus ou moins religieux ou philosophiques. Jésus n’étant alors que l’image symbolique privilégiée. Non ! le salut est une réalité dont la souche est en Jésus, le Christ.
Mais dans le même temps, il ne se greffe pas que sur la seule Promesse et la seule Alliance d’Israël. C’est parce qu’il est pleinement homme que le Christ peut être le sauveur de tous les hommes. Les racines mêmes du salut sont dans l’humanité plénière de Jésus. C’est elle qui est universelle et assume tous les hommes, de tous les temps, de toute race, de tout pays, de toute culture.
Les mages nous révèlent ainsi que tous les hommes peuvent accéder à la foi au travers des signes qu’ils reçoivent de Dieu.
Si éloignés de nous par leurs religions, leurs convictions, leur athéisme même, les païens d’aujourd’hui ne le sont pas de Dieu. Nous savons que l’amour de Dieu est universel et infini, comme est universel et infini le salut en Jésus-Christ parce qu’il traverse toute l’épaisseur de notre réalité humaine.
Bonne Nouvelle qui vaut la peine d’être dite et redite, proclamée sur les toits, le cœur brûlant, dans l’amour de tous !
C’est l’occasion, peut-être, de nous demander où en est notre ouverture à l’autre ? Après quelques décennies caractérisées par un développement considérable du dialogue entre les peuples, les cultures et les religions, nous assistons actuellement un peu partout en Occident à un mouvement de recul et de fermeture à l’autre – à l’autre venant d’autres pays et d’autres cultures, ayant d’autres coutumes et d’autres traditions religieuses. Un vent de xénophobie est perceptible un peu partout. Dans ce contexte l’Evangile nous fait une obligation particulière, non seulement de garder nos cœurs ouverts à la largeur de celui de Dieu, mais aussi de travailler de façon concrète, là où nous sommes, à maintenir ou à rétablir le dialogue à tous les niveaux.
Que la révélation du mystère du Dieu-Sauveur remplisse nos cœurs de joie et d’amour fraternel !
Frère Gabriel, moine de Cîteaux