Un événement d’Eglise important a marqué le mois qui vient de s’écouler : ce synode sur la Nouvelle Evangélisation qui a réuni à Rome autour du Pape un nombre important d’évêques et de personnes invitées par le Saint Père en raison de leur sensibilité au sujet qui serait traité. Au terme de leurs rencontres, les Pères synodaux ont rédigé un message où on peut lire ceci : Avant de dire quelque chose concernant les formes que doit assumer cette nouvelle évangélisation, nous ressentons l’exigence de vous dire, avec une conviction profonde, que la foi se décide tout entière dans le rapport que nous instaurons avec la personne de Jésus qui vient le premier à notre rencontre. L’œuvre de la nouvelle évangélisation consiste à proposer de nouveau, au cœur et à l’esprit souvent distraits et confus des hommes et des femmes de notre temps, et avant tout à nous-mêmes, la beauté et la nouveauté de la rencontre avec le Christ.
Autrement dit, le but du synode ne portait pas tant sur l’objet même de l’évangile que sur la manière de l’annoncer. Comment trouver les mots, les formes, les comportements les plus appropriés pour que la Bonne Nouvelle à laquelle nous croyons et dont nous voulons vivre puisse être accueillie par le plus grand nombre possible d’hommes et de femmes aujourd’hui ? Comment faire pour que le monde entier y croie, qu’en croyant il espère, et qu’en espérant il aime ? Question lancinante qui habite le cœur de l’Eglise depuis toujours, qui habitait le cœur du bon pape Jean quand, à la surprise de tout le monde, il a décidé de convoquer le Concile Vatican II. On peut dire aussi sans se tromper que cette question fut celle de Jésus lui-même : comment allait-il s’y prendre pour annoncer au monde le message de grâce et d’amour dont il était porteur ? Ses longues nuits de prière, bien avant le jour, n’ont-elles pas été habitées par cette question qui lui brûlait le cœur, alors qu’il se remettait entièrement à la disposition de son Père pour que, le jour venu, en paroles et en actes, il soit le Divin Messager de l’unique Bonne Nouvelle qui peut vraiment nous combler de joie et qui devrait mobiliser toutes nos énergies ?
La fête de La Toussaint nous remet chaque année en mémoire le premier bain de foule de Jésus. Après son baptême par Jean, son jeûne de quarante jours au désert où il résiste victorieusement aux suggestions du diable, il a appelé ses premiers disciples, parcouru la Galilée et opéré des guérisons. Sa renommée grandit et voici qu’il fait son premier grand discours. On l’appelle le « discours sur la montagne » parce que l’évangile l’introduit par ces mots : Quand Jésus vit toute la foule qui le suivait, il gravit la montagne. Il s’assit et ses disciples s’approchèrent. On attend ses premiers mots. Que va-t-il dire à toute cette foule ? Que va-t-il nous dire à nous aujourd’hui : Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux ! Heureux les doux : ils obtiendront la terre promise ! Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés !
A-t-on jamais parlé du bonheur sur ce ton-là ? On attendrait : heureux ceux qui sont en sécurité, les riches, les forts, les puissants…Heureux ceux qui sont en bonne santé, heureux ceux qui ont du travail, heureux ceux qui peuvent s’offrir des vacances…Rien de tout cela dans la bouche de Jésus. Il ne s’y trompe pas. Tous ces bonheurs dépendent de conditions extérieures plus ou moins favorables : l’argent, le travail, la santé, les honneurs, la bonne chère. En période de crise, on voit combien ces soit-disant bonheurs sont fragiles et peuvent s’envoler au moindre coup de vent. Jésus ne veut pas nous tromper. Le bonheur qu’il annonce et qu’il donne gratuitement touche aux conditions climatiques de notre propre cœur. C’est un bonheur à la portée de tous et que personne ne pourra nous ravir. Il est fait de détachement, de douceur, d’humilité, de justice et droiture, de pardon des offenses, de pureté, de paix. Il peut même fleurir dans les larmes, les injures et la persécution. Les mieux placés pour en parler sont évidemment les saints, ceux et celles qui sont passés par la grande épreuve de la vie, qui ont lavé leurs vêtements et les ont purifiés dans le sang de l’Agneau. Mais comme nous aurions tort de croire que ce bonheur ne nous est pas offert à nous aussi aujourd’hui si nous le voulons ! Notre vocation, votre vocation, chers frères et sœurs, n’est-elle pas l’appel à la sainteté ? Et les saints ne sont-ils pas de grands aventuriers du bonheur évangélique ? Alors pourquoi remettre à demain la réponse que Jésus attend de nous aujourd’hui ? Soyons réalistes. Combien de gens sont malheureux à cause d’un trop grand repliement sur eux-mêmes, par manque liberté de cœur et d’âme ! A force d’avoir cédé à toutes les singeries du bonheur promis par des publicités abusives ou par des charlatans qui cherchent à se servir eux-mêmes plutôt qu’à servir les autres, beaucoup ne savent plus comment s’en sortir ! Que reste-t-il alors ? La violence, la drogue ou une mascarade de plaisirs sans lendemain ! C’était déjà le cas au temps de Jésus. Les innocents sont massacrés, les faibles sont éliminés, les petits sont victimes des grands, les puissants se battent pour le pouvoir. Rien de nouveau sous le soleil…, sauf l’évangile ! L’évangile des béatitudes renverse nos châteaux de cartes. Ne craignons pas d’en être les ouvriers. Appelons au bonheur qui ne déçoit pas, même quand on est dans les larmes ou la persécution. Jésus frappe à notre porte avec ses anges et ses saints : « La nouvelle évangélisation, veux-tu en devenir l’ouvrier ? En voici les outils. Reçois mes béatitudes, médite-les dans ton cœur jour et nuit, et mets-les en pratique. La terre entière deviendra comme le Royaume des cieux : une terre nouvelle où se rencontrent amour et vérité, où justice et paix s’embrassent, où tout être vivant chante louange au Seigneur, alléluia ! »
Frère Olivier, abbé de Cîteaux