Chers frères et sœurs,
Arrêtons-nous quelques instants sur ces deux de paraboles que nous venons d’entendre.
Deux paraboles de Jésus qui révèlent deux caractéristiques typiques de son Royaume. La première soulignée dans la première parabole est que ce Royaume est extraordinairement puissant, et dans un certain sens autosuffisant. Il est lui-même à l’œuvre. La seconde exprimée dans la parabole suivante est que ses apparences sont plus que modestes, minuscules même, à première vue négligeables.
Deux caractéristiques distinguant radicalement le Royaume de Dieu de toute entreprise humaine.
Voyons-les l’une après l’autre.
Il en est du Royaume de Dieu, nous dit Jésus, comme d’un semeur à qui il a suffi de jeter le grain dans son champ. La suite ne dépend plus de lui : « Qu’il dorme où qu’il se lève, nuit et jour, la semence germe et grandit, il ne sait comment ». Ce semeur ne sait comment et il ne le saura jamais. Il ne faut même pas qu’il s’en préoccupe, où qu’il cherche à le savoir pour améliorer éventuellement le rendement de son champ. Cette croissance n’est plus de son ressort ni de sa compétence. Dieu y a pourvu somptueusement nous dit Jésus, accomplissant Ezéchiel qui annonce que le Seigneur fera lui-même grandir un cèdre magnifique. La semence du Royaume porte en elle-même le dynamisme qui la fera spontanément germer, grandir et porter fruit.
De même qu’il ne sert à rien de tirer sur un brin d’herbe pour hâter sa croissance, de même vouloir accélérer le rythme du déploiement du Royaume est vain, inutile. C’est le Royaume qui nous sauve - le Royaume qui est Jésus en personne - ce n’est pas nous qui sauvons le Royaume. Le Royaume a son temps et ses heures à lui, qui ne sont pas les nôtres. La moisson viendra quand son temps sera révolu. Au temps que Dieu a fixé. Prétendre y changer quoi que ce soit, ce serait travailler pour un autre royaume : ce serait vouloir réussir orgueilleusement une autre œuvre, où l’Esprit de Dieu n’est pas.
Tentation bien humaine que de vouloir en sortir de ce Royaume, et d’autant plus forte que sa puissance est cachée, à peine visible pour un regard humain, trop humain qui scrute les choses de l’extérieur, et aime à bâtir sans attendre, des tours bien visibles qui montent jusqu’au ciel !
Et nous voici dans la deuxième parabole qui présente l’autre caractéristique distinguant radicalement le Royaume de Jésus de toute entreprise humaine : sa semence est toute petite, minuscule, infime. Jésus la compare même à une graine de moutarde : « la plus petite de toutes les semences du monde »
Voilà un risque supplémentaire de nous tromper de semence et de Royaume. Qu’il s’agisse de notre propre histoire intérieure, ou de celle de nos frères, ou de la vie de l’Eglise autour de nous -si malmenée actuellement par une partie de son personnel- nous rêverions volontiers du grand arbre qui, un jour étendra largement ses longues branches, si bien que les oiseaux du ciel viendront faire leur nid à son ombre. Mais voilà nous sommes au temps de la petite semence qui ne jette encore aucune ombre. Et lorsqu’elle se met à pousser, elle est si frêle et si chétive qu’on la distingue à peine d’une mauvaise herbe. Certes elle est toujours aussi puissante, mais tout autant si humble et si cachée.
C’est bien par cela que le Royaume de Jésus nous déconcerte le plus. Nous sommes toujours tentés d’aligner des chiffres et des statistiques, avouons-le, (combien de cisterciens et de cisterciennes dans l’OCSO ?…, combien de prêtres et de diacres en France ?) etc. nous cumulons les résultats d’enquête, nous tenons à nos analyses personnelles, à nos projets, à nos priorités et nous y puisons des motifs d’encouragement ou, au contraire, de désenchantement et d’amertume.
Les deux paraboles d’aujourd’hui nous disent que nous nous trompons alors de critère. Que le serviteur du Royaume ne doit pas tant s’appuyer sur son savoir-faire que faire confiance à la force de Dieu, cachée dans sa Parole, dont il n’est que le semeur. Qu’il ne faut pas s’aveugler sur les apparences d’un résultat plus ou moins brillant, ou plus ou moins terne, mais qu’il importe seulement de rester attentifs aux gestes humbles du quotidien, aux petits pas ordinaires. Parce que Dieu travaille ainsi, petitement, avec des gens et des choses modestes, qui souvent passent inaperçus. Et que, de toutes façon, ce qui doit un jour devenir un grand arbre qui projettera son ombre sur tous les autres doit d’abord, obligatoirement, n’être qu’une petite semence, la plus petite de toutes.
Telle est la façon de Dieu. Tel est le secret de son Royaume.
Chers frères et sœurs, demandons à l’Esprit-Saint par l’intermédiaire du Bienheureux Marie-Joseph Cassant, - dont nous faisons mémoire désormais le 17 juin – demandons la grâce pour ce monde que Dieu aime de devenir, chaque jour un peu plus, de ces petits à qui il a plu à Dieu de révéler son mystère et d’associer à la croissance de son oeuvre.
Frère Gabriel, moine de Cîteaux