« Nous devons être d’autant plus fidèle à célébrer la fête d’aujourd’hui, qu’elle est plus de chez nous. En effet, alors que les autres solennités religieuses nous sont communes avec d’autres églises, celle-ci nous est tellement particulière que si nous ne la célébrons pas, personne ne la célébrera. » Nous avons tous reconnu là un des sermons de Saint Bernard pour la Dédicace, n’est-ce-pas chers frères et soeurs… Si nous ne la célébrons pas, personne ne la célébrera. Mais nous ne manquerons pas de la célébrer solennellement et joyeusement ! l’anniversaire de la Dédicace de notre église de Cîteaux. - Elle est en outre l’anniversaire de la profession solennelle de Père Abbé et celle de Frère Laurent !- Nous la célébrerons donc d’autant plus joyeusement. Joyeusement, comme on célèbre l’anniversaire d’un baptême, d’une confirmation, d’une 1ère communion.. … Car il s’agit bien de cela quelque part, d’un anniversaire de baptême, de confirmation, de première communion, quand on célèbre l’anniversaire d’une Dédicace. En effet, si on se penche sur les éléments de la liturgie de cette fête, on ne peut pas ne pas faire le parallèle entre les sacrements de l’initiation chrétienne et la dédicace d’une église. Un des premiers gestes qui est posé, lors d’une dédicace, n’est-il pas celui d’asperger abondamment d’eau baptismale le bâtiment église en en faisant le tour. Comme le chrétien remontant de l’eau est purifié, ainsi les murs de l’église sont comme baptisés purifiés par l’eau sainte. Le baptisé, par la Confirmation est affermi dans la grâce baptismale. Il est marqué du sceau de l’Esprit-Saint par l’onction du Saint-Chrême. Il lui est ainsi signifié qu’il appartient au Christ, qu’il participe à la mission de Jésus-Christ, et devient son témoin. Ainsi, le rite de l’onction des douze croix de consécration, pour signifier au bâtiment-église son rôle majeur comme témoin de la présence de Jésus-Christ en ce monde, pour signifier qu’il est fondé sur les douze colonnes de l’Eglise, qu’il est le lieu principal de l’Annonce de l’évangile. La préparation de la pierre d’autel pour le sacrifice du Seigneur, l’embrasement de l’encens, renvoie au Christ, la véritable pierre d’autel, d’où montera le sacrifice qui plaît à Dieu, tel un feu ardent, mais le rite renvoie aussi à tous les disciples, eux-mêmes appelés à devenir pierre d’autel pour s’offrir avec Lui, en Lui et par Lui, et partager le Pain et le Vin. Après la communion, l’évêque inaugure solennellement la réserve eucharistique : rendu présent par le sacrifice de la messe, le Christ va désormais demeurer en ce lieu, en ce lieu tout endimanché et illuminé pour la circonstance… comme l’est un premier communiant habité de la sainte Présence pour la première fois. Ce que les sacrements de l’initiation réalisent pour une personne, la dédicace l’opère pour un édifice destiné au rassemblement des fils de Dieu. Par ce sacramental l’église de pierres inertes et profanes devient elle-même sainte quelque part par sa relation à l’Eglise de pierres vivantes. C’est par une sorte de consubstantialité, par connaturalité à la nature matérielle du corps humain, temple de l’Esprit saint, que l’édifice de pierres est ainsi béni et sanctifié. Ecoutons saint Bernard nous le dire dans cette même homélie citée au début « Quelle est, dites-moi, la sainteté des pierres que vous avez sous les yeux pour que nous célébrions leur fête ? Si elles ont vraiment une sainteté, ce ne peut être qu’en raison de votre propre corps. Car votre corps est saint, personne ne saurait en douter : n’est-il pas le temple de l’Esprit-Saint. Ainsi à cause de l’Esprit de Dieu qui habite en vous vos âmes sont saintes ; à cause de vos âmes, vos corps sont saints : et à cause de vos corps cette maison est sainte. » C’est donc toujours avec l’arrière-fond de l’homme et sa sanctification que les rites de la consécration d’une église sont posés. Pour ne pas régresser dans le paganisme avec ses temples sacrés, ses sources sacrées, ses bois sacrés, il est capital de ne jamais perdre de vue cet arrière-fond. C’est pourquoi toute la Liturgie de la Parole en cette fête se charge de nous le rappeler, et avec quel génie ! Depuis l’office des Vigiles jusqu’aux secondes vêpres, les hymnes, les antiennes, les répons, s’entendent tous à deux niveaux. Les termes principaux dont ils sont composés, pierres, murs, construction, lieu, temple etc. sont tous des concepts à double étages si l’on peut dire. Quand on chante : « Seigneur béni ce temple édifié pour ton nom», c’est l’étage du haut (!) qui est d’abord concerné. Il s’agit, sans doute, de bénir le bâtiment église, mais il s’agit surtout de l’assemblé des baptisés. Et ainsi de chacun de ces termes. C’est le mot renvoyant à son plus haut niveau, l’homme appelé par Dieu, qui est essentiellement, bien sûr, l’objet et la fin de cette fastueuse célébration. C’est parce que l’Eglise (avec un grand E) se rassemble en ce lieu en réponse à l’appel du Seigneur qui l’invite à célébrer l’Alliance nouvelle que ce bâtiment de pierres appelé église (avec un petit é) est béni et sanctifié. Au cours d’une consécration d’église, redisons-le encore, ce sont les pierres vivantes qui sont concernées, au premier chef, nous les chrétiens dont la mission est d’édifier, de construire l’Eglise du Christ, en conformant notre vie au Mystère de la foi que nous célébrons. Joyeux anniversaire ! chers frères et sœurs baptisés en Jésus, pierres vivantes, édifiées dans sa maison, précieuses aux yeux de Dieu.
Frère Gabriel, moine de Cîteaux
|