Méditaion pour le Jeudi Saint

Chers frères et sœurs,

Bonjour, bienvenue à Cîteaux. La méditation que je vous propose comprend 2 parties : la 1ère est une introduction au Triduum Pascal, la seconde une méditation sur le Jeudi Saint.

Afin d’entrer toujours plus profondément dans le Mystère de Pâques, creusons en nous le désir ardent de Dieu et laissons monter du plus profond de nos racines, la soif intense de vivre de son Amour, de sa Lumière et de sa Paix.

Nous allons célébrer ensemble le « Triduum Pascal » : ce temps fort liturgique commence avec la messe du soir du Jeudi Saint ; il se poursuit avec la célébration de la Passion du Seigneur le Vendredi Saint et culmine dans la Veillée Pascale le Samedi Saint, veillée au cours de laquelle nous acclamerons la Lumière du Christ Ressuscité qui éclaire notre Eglise, notre monde et notre cœur tout entier ! La Lumière du Christ qui nous permet de vivre chaque jour une Pâque nouvelle.

Le « Triduum Pascal » que nous allons vivre ensemble est vraiment le cœur de l'année liturgique : le Christ après avoir institué l'Eucharistie est mort et ressuscité.

Ces trois jours saints nous sont donnés pour nous laisser remplir de ferveurs et de grâces particulières, pour nous laisser habiter par la Lumière du Christ qui vient éclairer toutes nos ombres et ouvrir le tombeau de nos ténèbres.

Dans un sermon pour le J.S. Saint Bernard dit : si grande est la force des sacrements célébrés durant ces jours, qu'ils seraient capable de fendre même les cœurs de pierre et d'attendrir jusqu'aux cœurs de fer.

Ces mots vigoureux nous permettent de comprendre que, quelque soient nos dispositions intérieures, - que nous soyons dans la paix ou dans le doute, dans la ferveur ou dans la sécheresse, dans la joie ou dans la tristesse... - le Seigneur est capable de nous rejoindre là où nous sommes et tels que nous sommes, pour ouvrir au plus profond de nous un espace de vie, de tendresse et d’amour.

L’essentiel est une question de désir : que nous soyons brûlants de désir pour Notre Seigneur Jésus Christ à qui nous ne voulons rien préférer. Désirer le Seigneur de tout notre cœur, de toute notre âme, de toute notre intelligence...

Un "Père du Désert" : disait à un de ses disciples ces mots percutants : "tu veux être chrétien? Devient tout entier comme du feu".

Dans la vie de ces moines qui vivaient au désert d' Egypte dans les 1ers siècles du Christianisme s'est mise à briller doucement, puis avec de plus en plus d'ardeur, la gloire du Christ,

sa grâce déjà présente sur le visage de Moïse quand il descendit de la Montagne du Sinaï (Ex 34,35). mais aussi d' Etienne dont le visage était comme celui d'un ange lors de son martyre (Ac 7).

Et puis, sans rechercher très loin dans la liste des saints, je pense aussi que nous-mêmes avons tous en tête des témoignages d'hommes ou de femmes dont le visage nous est apparu rayonnant?

Mais comment obtenir un cœur brûlant ou être rayonnant? Faut-il faire quelque chose ? Y-a-t-il une recette ?

Avec le Seigneur, il est bien plus souvent question d’ « être » que de faire !

Il suffit de nous engager dans l'amour filial de Jésus avec douceur, mais déterminé en étant nous-mêmes c'est à dire : vrai et Laisser cet amour filial de Jésus habiter notre « être » tout entier, tout en continuant à être des témoins de l'amour qui n'exclut pas les points de conversions concrets que nous nous sommes fixés au début du Carême avec notre « père spirituel » et qui a connu probablement des hauts et des bas.

L'illumination de Pâque que nous espérons et que nous avons demandé pour nous-mêmes et pour tous nos frères, pourra alors advenir en chacun de nous.

Rappel des Rameaux

Dimanche dernier, la semaine Sainte s'est ouverte avec la célébration des Rameaux. Nous avons fait mémoire de l'entrée de Jésus à Jérusalem acclamé par la foule. C'était déjà l'anticipation de la venue de notre Roi dans sa gloire. Roi humble et pacifique tel que le voyait le prophète (Za. 9,9). Victoire et humilité ont caractérisé cette journée car nous savons que ce court triomphe devant les portes de Jérusalem n'est que le prologue de sa Passion. Celui qui est acclamé est en route vers la croix et le tombeau. Chemin de dépouillement et d'obéissance. Le jour des Rameaux, nous avons entendu l'hymne aux Philipiens. Dans cet épître de Saint Paul, nous trouvons le mot grec "ékénosen" qui signifie littéralement « il se vida de lui-même ». Ce verbe a pour sujet le Christ qui révèle l'être et l'humilité de Dieu. L’humilité du Christ est le signe de sa véritable puissance : elle s'incline devant ce qui est le plus petit et plus faible. Aujourd’hui, il nous est proposé de suivre ce Chemin du Serviteur.

Jeudi Saint : fête de l'amour.

Chaque jour du Triduum Pascal a son caractère propre. En célébrant aujourd’hui le Jeudi Saint, nous pouvons apprendre ou réapprendre à nous donner sans réserve par amour, à la manière du Christ Jésus lui-même, le Serviteur par excellence qui s'est donné pour nous totalement par amour.

En mourant sur le bois de la Croix, il a détruit la mort. En ressuscitant le 3e jour, il a restauré la Vie.

Le Jeudi Saint est le jour où Jésus a réuni ses disciples pour un repas, mais pas n'importe quel repas. Jésus dans ce repas nous fait le don de son corps et de son sang. C'est le jour de l'institution de l'eucharistie. En nous offrant son corps et son sang, c'est son amour que Jésus nous offre. Sacrement de réconciliation des hommes avec Dieu. Dans ce sacrement, le Sauveur, incarné dans le sein de Marie il y a plus de 2000 ans, continue à s'offrir à notre humanité comme source de vie divine. Il établit un lien définitif de confiance et d'amour avec chacun de nous. Il scelle une alliance nouvelle et éternelle que plus rien ne peut détruire.

"Avant la fête de la Pâque, sachant que l'heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'au bout". Aimer jusqu’au bout, cela veut dire « entièrement », « totalement ».

En ce moment crucial de sa vie, Jésus ne pense plus à lui-même, mais il s'oublie complètement pour ne penser qu'aux siens, les consoler, les rassurer : il les aime tellement qu'il va mourir pour eux. Depuis toujours le Christ a aimé les siens : il a passé sa vie à le leur montrer... Le montrer pas seulement en paroles, mais en posant des actes d’amour chaque jour. À la suite de Jésus, nous pouvons lui demander la grâce, en ce Jeudi Saint, de nous donner sans réserve par amour.

"C’est à cela que l'on reconnaîtra que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres comme je vous ai aimés".

Ce comme, indique la mesure avec laquelle Jésus a aimé et avec laquelle ses disciples sont invités à s'aimer. La manière d’aimer de Jésus est le fondement et la norme de l'amour fraternel.

Par cette parole, Jésus nous donne un critère de discernement pour notre vie de chrétien. Fils de Dieu, il nous appartient d’aimer l'homme et de faire de l'amour de l'homme, le critère de l'amour de Dieu. Ce faisant, Jésus révèle aussi le sens profond de la vie consacrée : elle est vie d'amour qui se donne dans le service concret et généreux auprès de nos frères en humanité.

Cet amour pour l'homme, Jésus le manifeste dans la scène bouleversante du "lavement des pieds". A ce moment, Dieu, se met lui-même au service des hommes, Dieu à genoux devant l'homme, devant l'homme qui est son œuvre, devant l'homme qui porte l'infini dans son cœur. Le "lavement des pieds" exprime symboliquement ce que fut la vie de Jésus : l'amour le plus humble pour sauver les hommes. "Je suis venu pour servir, non pour être servi".

Pourtant dès son institution ce geste a rencontré de l'opposition. Qu'on se souvienne de la réaction de Pierre : « me laver les pieds à moi! Jamais! » Après avoir refusé, Pierre finit par accepter, car Jésus lui a expliquer le sens de ce geste. Se laisser laver les pieds, c'est accepter d'être enrôlé par lui, c’est-à-dire accepter de s’engager avec lui et faire de lui sa part d'héritage.

Pendant 33 ans, Jésus a vécu sa vie d'homme simplement au milieu des siens. Il a fait ce qui s'imposait à lui à chaque instant de sa vie, sans éclat, sans bruit, sans se soucier de donner l'exemple. Sa manière de vivre fonde pour les disciples la capacité et le devoir de l'imiter. Le "lavement des pieds" n'est pas un enseignement moral, mais le dévoilement d'un mystère d'amour : le Mystère de Pâque.

L’Incarnation est l'humilité éternelle de Dieu. Voilà pourquoi, Jésus est l'esclave. Il est au plus bas, à genoux devant les hommes, c'est cela sa puissance. Mais pour avoir cette puissance d'aimer il faut se laisser habiter par plus grand que soi, par le Père de Tout Amour qui fait son œuvre en chacun de nous :

"Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même, mais au contraire, c'est le Père qui est en moi qui accomplis ses propres œuvres".

En Jésus agenouillé devant les apôtres, qui regarde de bas en Haut à ce moment-là, Dieu commence à se révéler dans sa vérité. Dieu est la vérité, le chemin et la vie...

Ce n'est pas par des raisonnements qu'on peut comprendre cette réalité. Il faut contempler le Mystère, il faut le revivre par le dedans. La puissance d'aimer est un don total de soi-même. Une force, à la fois fragile et vulnérable, entièrement livrée au service de l’Autre. Nous pouvons témoigner au monde entier que la transcendance de notre Dieu n’a rien à voir avec le pouvoir de la Toute Puissance. Elle est au contraire radicalement opposée, majestueusement humble : elle est capable de s’abaisser, de se livrer jusqu’à mourir sur le bois de la Croix.

Arrêtons-nous un instant sur cette merveille qu'est le signe de la croix. Les paroles que nous prononçons au moment où nous nous signons doivent être appropriées à nos gestes. C'est comme si nous disions en secret "béni soit le Christ qui est mort sur la Croix pour nos péchés et pour nous faire revivre". Grâce à sa Pâque, nous pouvons vivre au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. Simultanément deux portes s'ouvrent à nous, celle du Dieu Trinité auprès duquel le Seigneur nous introduit, et celle des hommes vers lesquels le Seigneur nous
envoie pour servir et répandre l'amour.

Mais avant de partir en mission, il est important que le vrai visage de Dieu s'imprime dans le cœur des disciples et qu'ils sachent que Dieu justement est au-dedans d'eux-mêmes. "En ces jours là, vous connaîtrez que je suis en mon Père et que et que vous êtes en moi et moi en vous. " C’est à cela que Jésus veut conduire ses disciples. C'est ce Royaume de Dieu qu'il veut construire en nous au cœur de notre secrète intimité. C'est donc là qu'il faut chercher Dieu, dans l'homme et pour atteindre la perfection chrétienne, il faut que tous les hommes constituent un seul corps, une seule vie, une seule personne dans le Christ.

C'est tout cela que l'eucharistie que nous fêtons aujourd'hui va sceller. Elle est l'affirmation qu'il n'y a pas d'accès possible à Dieu autrement que par le chemin de l'homme, car Jésus le Christ notre Seigneur, vrai homme et vrai Dieu, ne cesse jamais d'être avec nous.

La nuit ou il fut livré, le Seigneur Jésus reçut du pain dans ses mains très saintes, puis, ayant rendu grâce, il le rompit et dit : ceci est mon corps qui est livré pour vous. Faites cela en mémoire de moi.

On peut facilement imaginer avec quelle délicatesse Jésus accepte ce pain, pain qui est toute l'histoire des hommes, qui est la vie de l'homme, fruit de son travail. Sans travail, il n'y a pas de pain, si il n'y a pas de pain il n'y a pas d'eucharistie. C'est donc du pain que nous portons sur l'autel. La consécration du pain, c'est le Christ qui divinise ce que nous avons humanisé.

"Faites cela en mémoire de moi"

En donnant aux apôtres le pain devenu son corps, Jésus les unit à son sacrifice qui va être consommé demain sur le calvaire. Par ses paroles et par ses gestes, Jésus pose ainsi le fondement de l'Église. En accueillant au cénacle cette invitation de Jésus, les apôtres entrent pour la première fois dans la communion sacramentelle avec lui.

A partir de ce moment et pour toujours, l'Église se construit avec le Christ immolé pour nous. L'Église naît du Mystère Pascal. C'est pour cela que l'eucharistie est le sacrement par excellence de la vie ecclésiale. Rappelons-nous les premières images de l'Église dans les Actes des Apôtres : "Ils étaient fidèles à écouter l'enseignement des apôtres et à vivre en communion fraternelle, à rompre le pain et à participer à la prière".

Rompre le pain, c'est le grand rite chrétien, le mémorial des chrétiens... Dans la scène d'Emmaüs, les disciples reconnurent Jésus à la fraction du pain. C’est à ce signe que l’on reconnaît Jésus après sa résurrection. La fraction du pain est le signe du partage mais c’est aussi le geste qui fait la communauté ; il n'y a pas de communauté sans partage. Il n’y a pas de communauté chrétienne sans eucharistie.

Par son corps livré, par son sang versé pour la multitude, Jésus nous révèle le Mystère de la relation intime qu’il entretient avec son Père et Il nous ouvre le chemin de la relation filiale que chacun d’entre nous peut vivre, à sa suite, avec son Père, avec notre Père qui est aux cieux...

"Je suis en mon Père et vous êtes en moi et moi en vous", nous dit Jésus dans sa grande prière sacerdotale (Jean). Dès maintenant, et à la suite du Christ, nous pouvons nous aussi « remettre notre esprit entre les mains du Père » et vivre chaque jour avec confiance : "levez-vous, partons"...

Se lever, relever la tête... Partir et repartir sans cesse ... avec une seule certitude : celle de nous savoir aimés par le Père qui vit en nous.

« Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie... Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra »...

Frère Michel, maître des novices



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